• Dheepan

     

    L'histoire:

    Sri Lanka. La guerre civile fait rage dans le sud du pays. Las de la guerre, un soldat de l'armée rebelle des Tigres Tamouls rencontre une femme esseulée et une orpheline qu'il décide de faire passer pour son épouse  et sa fille afin de quitter le pays en profitant du statut de réfugié politique. Désormais prénommé Dheepan, ce dernier atterrit en France avec sa petite famille. Tout d'abord logé dans un foyer où il gagne sa vie en tant que revendeur à a sauvette, il finit par trouver un emploi de gardien dans une cité mal famée de banlieue. Tandis que le couple découvre une nouvelle misère et un quartier aux mains des voyous, la petite peine à s'intégrer dans sa nouvelle école...

     

     

     

    Bon à la base j'aime bien Audiard. Je trouve que c'est quand même un des rares bons réals français avec une vraie identité formelle. J'ai pas vu tout ses films, loin de là, mais ceux que j'ai vus sont quand même pas mal foutus.

    Fraîchement auréolé d'une palme d'or (même si ça veut pas dire grand chose) ce Dheepan partait donc sous les meilleurs auspices en abordant la communauté tamoule, communauté très présente en Ile De France notamment et néanmoins très méconnue. Pourtant ce film montre bien qu'il ne faut jamais partir confiant quand on va au ciné.

    L'histoire, et le contexte, très intéressants au départ dévient très vite pour donner lieu à un film... Un film quoi au juste? Social? Pas vraiment. D'exploitation? Même pas. Un film un peu bâtard en fait, même pas "autre", juste bâtard.

     

    Dheepan (Anthonythasan Jesuthasan), un homme meutri en quête de rédemption

     

     

    En effet, au delà du postulat alléchant (la reconstruction, au sens propre et figuré, d'une famille réfugiée en France), Audiard cède salement à la facilité et oublie son sujet en cours de route pour se focaliser sur la la lutte de son héros contre les "vilaines racailles de banlieue". Du coup sans trop spoiler on peut à la fin se demander l'intérêt de prendre un héros tamoul et évoquer un conflit et une communauté qui seront en fait à peine survolés. Parce que franchement au final pour un peu le mec et sa famille auraient pu venir du Congo, de Syrie ou de n'importe où que ça n'aurait pas changé grand chose au récit...

     

    Dheepan, un ex soldat en pleine reconversion

     

     

    En plus de cela, malgré le fait que les acteurs jouent quand même globalement très bien (Audiard est un très bon directeur d'acteurs) la caractérisation de la famille est assez peu crédible je trouve. Dheepan qui est censé être un ancien soldat (las de cette vie je le répète) se transforme limite en papa poule avec une petite qui lui saute dans les bras alors qu'elle le connait à peine. OK c'est le moins pire des deux "parents" mais quand même. La petite a 9 ans, pas 4. De la même manière la femme qui est débrouillarde et habituée à survivre se révèle au fond aussi chiante qu'une femme née en France. Je sais pas logiquement t'es une femme et tu dépends d'un ancien militaire qui a tué pas mal de personnes, tu la ramènes pas et surtout tu vas pas le faire chier. Bah là si. Je sais pas trop où Audiard a été chercher ça mais il doit beaucoup aux comédiens qui ont réussi à éviter le ridicule de ce parti pris.

     

    Dheepan en mode papa poule avec Illayaal (Claudine Vinasithamby)

     

    Mais ce qui me dérange le plus dans Dheepan c'est un peu l'hypocrisie du truc. Audiard, je le répète, est un bon cinéaste. J'ai beaucoup aimé Un Prophète même s'il préfigurait déjà un peu le pb qui se pose ici. Audiard est malin, c'est un roublard. Il l'avait dit à l'époque d'Un Prophète qu'il voulait faire "l'anti Scarface" à savoir une success story d'un homme évoluant au sein des truands et non la "rise and fall" typique des fresques mafieuses. Bien qu'il ait réussi son coup et que le film ait été primé un peu partout (ça m'avait d'ailleurs gêné aux César quand il s'était pratiquement levé avant même qu'on annonce son nom), le film de part son sujet et son contexte (l'univers carcéral) était contrebalancé par son traitement très "réaliste" (il avait été quand même documenté sur le fonctionnement d'une prison française on va dire). De ce fait il n'y avait pas vraiment d'ambigüité et on lui pardonnait les dérives très hollywoodiennes comme Latif l'Egyptien de la Banlieue Sud ou le fait que les Corses contrôlent les prisons parisiennes (lol).

     

    Ici il n'y pas ce contrebalancement. Le film débute comme un drame, puis dévie sur une chronique sociale et se termine un peu n'importe comment. Dheepan évoque plusieurs pistes, aborde pleins de sujets (la guerre, l'intégration, la communauté tamoule, la survie, la banlieue, l'échec de la république, la sécurité), en élude 90% et finit en queue de poisson. Audiard a voulu parler de pleins de trucs et s'est totalement égaré en chemin.

     

    Yalini (Kalieaswari Srinivasan), "épouse" de Dheepan qui rêve de fuir la "guerre en France"
     

    Alors quoi est-ce que le film est tout naze? Bah non mais il est suffisamment raté comme ça.

     Il y a tout de même des trucs assez indignes de Audiard dans ce film:

    - la description fantasmée d'une cité défavorisée devenue une zone de non droit absolue où les "jeunes" passent toute la journée à parader en merco et à se poster à l'entrée du QG où à se balader sur les toits en mettant du rap des années 90 à fond et à tirer en l'air (...). D'ailleurs [SPOILER] je sais pas où il a pu voir qu'on cachait le matos comme ça au vu et au su de tout le monde et que le premier merdeux du coin allait venir faire une descente à la Gomorra. Il aurait mieux fait d'évoquer les nourrices pour un peu plus de crédibilité. [FIN DU SPOIL]

    - le casting "cité" assez foireux avec un petit Blanc avec une tête de victime de première (Franck Falise) qui joue les caïds des halls et un autre Blanc qui joue un Arabe (?). Je comprends pas. Avec tous les Blancs avec des têtes de durs il fallait qu'il prenne un mec avec une tête à s'appeler Valentin. D'ailleurs son rôle, plus pathétique tu meurs...

    Une caractérisation assez cliché et pathétique du style les Arabes contrôlent le biz, les Noirs sont véreux ou inexistants et les Babtous sont... bah y en a pas en fait (à part 2 qui parlent parce qu'il faut bien les montrer pour pas "stigmatiser").

     

    Brahim (Vincent Rottiers, moyennement crédible), caïd foireux de cité

     

    On peut se demander où il a voulu en venir et ce qu'il a cherché à montrer. L'échec de l'intégration "à la française"? Que c'est mieux ailleurs (en l'occurrence en Angleterre)? Que c'est les Arabes qui foutent la merde? Le dernier acte du film vire un peu au  grand guignol et la conclusion en ellipse (expédiée comme pas permis)  donnent un vilain arrière goût au film qui s'éloigne méchamment de son propos de base.

     

    Bref, on dirait qu'il a voulu faire son film de cité. Au final il a juste réussi à faire un truc entre la Squale et Un Justicier dans la Ville, à savoir un délire de mec concerné totalement à côté de la plaque et n'assume pas ce qu'il veut dire ( être un pur délire loin de tout constat social, ou bien montrer l'échec de la politique française etc.). C'est bien beau de se réfugier derrière l'alibi de la fiction pure. Le pb c'est qu'en ces temps de droitisation extrême, il y a pleins de gens qui pensent que toutes les cités de France ressemblent à ça (le traitement ultra naturaliste achève de donner une impression de réalité déplacée). Marine et Manuel ont trouvé leur film de la rentrée.

    Petite déception même si j'en attendais pas grand chose...

     

     

    A noter, l’interprète principal Anthonythasan Jesuthasan a réellement été enrôlé de force dans les Tigres Tamouls et s'est depuis reconverti en écrivain prolifique.

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