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En Finir Avec Eddy Bellegueule
Résumé Amazon:
«En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.»
Avant tout il faut savoir qu'il s'agit d'un roman autobiographique, et qu'Eddy Bellegueule, aussi étonnant que cela puisse paraître est bien le vrai nom d'Edouard Louis (enfin, il a fini par changer définitivement à l'état civil). Pour la bio on va faire bref: il est né en 1992 et a grandi à Hallencourt dans la Somme. Après un diplôme à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, il dirige un ouvrage collectif sur Bourdieu, puis plusieurs essais dont un sur Foucault. En 2014 sort son premier roman En Finir avec Eddy Bellegueule qui obtient un grand succès. Ont suivi deux autres romans: Histoire de la Violence en 2016, et Qui a Tué Mon Père en 2018.
Savez-vous ce qu'est un incipit? Pour ceux qui ne savent pas ce qu'est un incipit, vous pouvez aller sur Google / Wikipedia, ou bien simplement lire la suite. Un incipit donc, c'est une introduction. Enfin par n'importe quelle introduction. C'est un peu l'entrée en matière dans un roman, qui se caractérise en général par une phrase plutôt marquante, et qui fait presque figure de note d'intention. Parmi les incipit les plus célèbres on peut citer "Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas." Tirée de l'Etranger de Camus, cette phrase résume en fait assez bien quand on y pense toute la condition d'un individu passif, et en apparence indifférent à ce qui lui arrive alors qu'il s'agit plutôt d'une certaine résignation.
De la même manière, un des incipit les plus célèbres, peut-être même le plus célèbre, de la littérature française, voire de la littérature tout court est celui du narrateur Du Côté de Chez Swann. "Longtemps je me suis couché de bonne heure." Ouais, rien que ça. C'est bizarre comme une phrase aussi simple peut se révéler aussi forte finalement.
L'incipit du livre qui nous intéresse ici, si on ne peut pas le comparer aux chefs-d'œuvre précités reste tout de même assez fort. Jugez plutôt: "De mon enfance je n'ai aucun souvenir heureux."
Oui, en plus de renvoyer un peu à Proust ça met l'ambiance direct (d'ailleurs par moments avec ses parenthèses et ses digressions ça rappelle un petit peu l'amateur de madeleines). On entre dans le vif du sujet.
Et en effet, on ne peut pas faire mieux comme note d'intention tant la suite du bouquin est à l'avenant.
Bienvenue Chez les Ch'tis
Je vais pas m'étendre sur les détails assez glauques du roman mais à le lire on pourrait presque croire qu'il a vécu au 19ème siècle au milieu des mines de charbon. Putain c'est Germinal le truc. Les gens usés dès la trentaine, les filles enceintes à 20ans (maximum), la misère sociale, intellectuelle, sexuelle, l'alcool, les dents pourries, l'hygiène douteuse, la violence ordinaire... Putain il est plus jeune que moi le mec!! Que je retrouve son coin histoire que j'y mette jamais les pieds lol. Même moi qui ait vécu une enfance difficile j'ai pas vécu ça en région parisienne lol. Bon à part les gens aux dents pourries, les filles mères, le chômage, l'alcool, la violence, la misère sociale... Ah ben si en fait.
En fait sérieusement, pour en avoir parlé avec des gens du Nord y a quand même une différence non négligeable entre la misère qu'on trouve en Ile de France et celle d province, notamment du Nord. D'ailleurs toutes proportions gardées, lui ce qu'il propose c'est de la cassocerie high level, et comme on est dans le Nord, il faut bien un peu de consanguinité, de "pédophilie" et d'inceste, histoire de faire honneur à une certaine banderole du PSG. Bref, c'est un roman rempli de prétendants à un épisode de Strip Tease.
Comme dirait Galabru:
Malgré tout, et surtout malgré toute la compassion que je peux avoir pour le bonhomme et son parcours, j'ai par moments été un peu mal à l'aise en lisant le truc. Pas mal à l'aise comme si j'avais lu un truc d'une horreur insoutenable mais plutôt mal à l'aise comme si je voyais à travers le récit comme une espèce de complaisance dans la misère. Un peu comme si c'était un peu un forceur. Je veux dire que sans remettre en question ce qu'il a vécu, c'est un peu comme si le mec avait vécu en enfer, comme si l'univers qui l'a vu grandir ne lui avait procuré absolument aucun bienfait. Il n'y a aucune contrepartie, aucune chose qui pourrait nuancer ne serait-ce qu'un tout petit peu ce constat. Ce coin c'est un peu Village des Allocs.
De la même manière, toujours dans la retranscription de son parcours, je ne sais pas si c'est parce que je suis noir, mais il y a un truc qui m'a gêné. Quand je dis que je suis noir, c'est parce que bon d'un point de vue culturel chez les Noirs en général, il y a toujours une espèce de pudeur, une certaine retenue à exprimer certains trucs comme la sexualité, la famille, ce genre de truc. Quand je parle de ça, je fais allusion à la manière dont il décrit ses parents, avec une espèce de retrait comme s'il parlait presque d'étrangers. Alors oui la relation complexe qu'il a entretenu avec son entourage et notamment ses parents est évidemment au cœur du bouquin mais je ne sais pas, ça m'a gêné. Dresser un portrait pareil (même s'ils sont comme malgré eux), de manière aussi détachée ça me laisse presque perplexe. D'ailleurs, à la limite, s'il y a un personnage qui s'en tire un peu mieux que les autres c'est son père, un produit de son environnement, peu éduqué, rustre, raciste, mais qui conserve une certaine "noblesse" d'âme, un homme qui ne sait pas comment aimer son fils, ni comment accepter le fait qu'il est "différent" et un peu à l'opposé de tout ce qu'il apprécie.
Enfin, il y a un dernier truc qui m'a... Jusqu'ici je me considérais plutôt comme ouvert d'esprit. Je n'aime pas le mot "tolérant", je trouve qu'il sous-entend un certain jugement, genre "je n'aime pas ce que tu fais mais bon je le tolère". Ca me gène un peu, cette espèce de connotation d'ordre moral. Après tout, quand on regarde un peu, en général quand on parle de tolérance on parle également d'interdit (sauf quand on parle de santé évidemment). Enfin bref, tout ça pour dire que j'en ai jamais eu grand chose à foutre de l'homosexualité. Je pars du principe que chacun fait ce qu'il veut. Mais bon il faut croire que tout le monde a son seuil de "tolérance" lol.
Pourquoi je dis ça? Parce qu'une partie du roman est évidemment axée sur sa découverte de la sexualité, et l'affirmation de son homosexualité un peu envers et contre tout. Je dis évidemment mais je suis tellement con que j'avais pas capté. Du tout, fidèle à lui-même, il décrit son "initiation", à un âge précoce (à un âge où personnellement je regardais encore le Club Dorothée), et également ses fantasmes tout cela avec l'approche qu'on lui connait. C'est froid, clinique, glauque et riche en détails. Perso je m'en serais bien passé. Ca m'a un peu dégoûté. Si c'était l'objectif, je dois dire que c'est réussi.
Je me rends compte que j'ai été assez bavard alors je m'arrête là (ça prend du temps d'écrire tout ça). Personnellement En Finir Avec Eddy Belle Gueule est un beau livre, bien écrit, assez dur et assez touchant, que j'ai globalement apprécié même si j'émets quelques réserves vis-vis du regard presque clinique qu'il pose sur son environnement d'origine. Par ailleurs certains passages m'ont quand même un peu dégoûté, du coup je pense que je vais faire l'impasse sur le suivant qui m'a l'air encore plus joyeux et généreux en détails scabreux.
Allez next!
Ah oui: à noter que le roman a été adapté au ciné sous le nom de Marvin ou la Belle Education d'Anne Fontaine (clin d'œil à Almodovar?), adaptation dont Edouard Louis s'est relativement désolidarisé (il n'a ni renié ni soutenu le film). Je pense que je vais aussi passer mon tour.
Tags : Eddy Bellegueule, Edouard Louis, Proust, Roman, Autobiographie, Zola, Bourdieux, Pauvreté, Homosexualité, Nord
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