• Sean Price - RIP

     

    Comme beaucoup j'ai été attristé dimanche en apprenant le décès du rappeur Sean Price, aussi j'ai décidé de parler de lui aujourd'hui. Son parcours, si on regarde bien, c'est un peu  celui de tout son collectif et de son label.

     

    Boot Camp Clik

    Si le Wu Tang Clan est incontestablement LE groupe de rap East Coast des années 90, Sean Price a appartenu  à un des collectifs les plus emblématiques de la scène rap new yorkaise avec le Wu précité et le D.I.T.C: le Boot Camp Clik. Oui sans le "c" à Clik parce que quand on parle de rap américain, les gangs sont jamais très loin et il est préférable que certains pseudos ne soient pas interprétés comme des provocations genre Crips Killer (tueur de crips), ce qui explique que la plupart des rappeurs / DJ West changent l'orthographe de leur nom dans ce sens (40 Glocc, Spider Locc, DJ Quik, Aloe Blacc). Bon en ce qui concerne le Boot Camp Clik (ou B.C.C) c'est assez bizarre vu qu'ils sont de Brooklyn et qu'il me semble que les Crips et Blood sont devenus importants un peu plus tard à New York mais bon c'est comme ça.

    B.C.C c'est d'abord un collectif fondé autour de Buckshot, rappeur principal du groupe Black Moon. Ce groupe se fait connaître avec leur premier album Enta Da Stage qui devient un gros classique et un énorme succès à l'époque. Buckshot alors âgé d'à peine 20 piges maximum se retrouve à la tête du label Duck Down créé pour l'occasion avec Drew "Dru Ha" Friedman, un mec alors encore en fac de commerce, qui en devient le co-CEO.

     

    Dru Ha et la mascotte de Duck Down

     

    Par la suite il fonde le collectif Boot Camp Clik avec des groupes de Brooklyn (de Brownsville et Bedford "bedstuy" Stuyvesant précisément) qui seront logiquement signés sur le label et sortiront chacun un classique. Smiff-n-Wessun d'abord (qui se renommera Cocoa Brovaz suite à des pb de droits avec le célèbre armurier), puis Heltah Skeltah (aucun rapport avec Charles Manson), et enfin OGC. Les affinités seront telles que Heltah Skeltah et OGC formeront même un "supergroupe" ponctuel nommé Faboulous 5. Vu la proximité entre le collectif et le label l'histoire deviendra vite une affaire de famille.

     

     

    Buckshot en bas avec le bonnet blanc, fondateur de Duck Down et du Boot Camp Clik

     

     

    Heltah Skeltah

    Sean Price, qui s'était d'abord fait connaître sous le nom de Ruck (Tha Ruckus) au sein du groupe Heltah Skeltah est un rappeur que j'appréciais particulièrement au sein du collectif, même si je lui préférais Rock. Je me rappelle les avoir entendus pour la première fois sur Nova en 1995-96, alors que je découvrais les gros rappeurs/ groupes de l'époque (Mobb Deep, Das EFX, Onyx, Biggie, KRS One, Redman etc), avec ce morceau:

     

     

    Qui est d'ailleurs un remix (l'original n'a pas les mêmes paroles).

    Nocturnal, le premier album d'Heltah Skeltah, sorti en 1996, est devenu dans la foulée un petit classique rap instantané.

     

     

     

    Ouais, la cover est assez cheap et digne du label No Limit mais on s'en fout. J'adore cet album à la fois sombre et bien délirant. Personnellement c'était d'ailleurs le CD qui m'avait coûté le plus cher à l'époque ou je l'avais acheté, 132 francs, ce qui était une petite fortune. Puis j'ai battu mon record en payant 156 francs pour un album de Common. Depuis l'euro j'achète sur le net c'est moins cher en général.

     

     

     

     

     

    Faut dire que la force du groupe (composé de Rock "Tha Rockness Monstah" et de Ruck "Da Ruckus") par rapport à la plupart des autres groupes de l'époque en plus d'appartenir à un gros collectif, c'est de cultiver une certaine autodérision et un bon grain de folie en plus du délire de rap de rue habituel. Les mecs sont des délinquants certes, mais des guignols en même temps qui ne se prennent pas vraiment au sérieux la plupart du temps. D'ailleurs me suis rematé les remerciements de Ruck sur le premier album, avec un remerciement spécial à son agent de probation qu'il invite cordialement à aller se faire... Ca a pas trop dû jouer en sa faveur par la suite

     

    En pleine rivalité east west, le collectif marque étonnamment son soutien à 2Pac qui est par ailleurs invité sur le premier album du Boot Camp. Un album qui ne m'a franchement pas marqué avec ses sonorités west coast chelou pour des mecs de Brooklyn. Bref pas ma came. Plus ou moins en parallèle le groupe O.G.C s'en prend à Biggie qui vient de Brooklyn comme eux. Ce dernier n'appréciant guère qu'on se foute de sa gueule envoie des mecs régler le compte du groupe qui l'avait parodié dans le clip No Fear. Résultat: Starrang Wondah, un rappeur du groupe, finit à l'hosto. L'embrouille a probablement dû continuer loin des micros mais tout s'est terminé après la mort successive de 2 Pac et Biggie.

     

     Quelques temps après leurs décès (2 ans environ), Magnum Force, le deuxième album d'Heltah Skeltah, marque un certain tournant dans l'approche artistique du groupe. Fini les ambiances ultra sombres (encore que), les instrus fournies par les producteurs maison (les Beatminerz) et autres délires dignes de Sainte Anne, et place à quelques tentatives d'incursion dans le rap un peu plus en vogue. D'ailleurs ils en profitent au passage pour inviter des proches de 2 Pac (Dogg Pound, Napoleon des Outlawz), histoire de rappeler qui ils soutiennent. Donc déception critique et relatif échec commercial malgré que Magnum Force soit un album objectivement tout  à fait recommandable.

     

     

     

     

    La crise

    S'en suit un gros passage à vide pour toute l'écurie Duck Down. Le passage aux années 2000 est difficile pour la plupart des groupes de l'époque qui peinent à évoluer.  Problèmes financiers, déboires judiciaires de certains, le label manque même de signer de peu un certain rappeur blondinet de Détroit avant que Dr Dre ne flaire le filon et en fasse la plus grosse star de rap au monde. Quelques projets sortent sans grande conviction. Rock d'Heltah Skeltah quitte le label (et le collectif Boot Camp par la même occasion) pour tenter une carrière solo et manque de peu de se prendre 50 ans de prison ferme pour avoir tiré sur un mec affilié aux bloods autour d'une sombre affaire de proxénétisme. Ruck essuie les galères et accumule les aller-retour en prison. C'est dans ce climat quelque peu délicat que le Boot Camp sort un deuxième album (sans Rock donc) où ils affichent une image de vétérans quelque peu blasés et amers.

     

    Les Brooklyn Globe Trotter

     

     

    Si l'album est bon il est n'est pas non plus à la hauteur du collectif, surtout au niveau des instru, si ce n'est le single qui représente encor un peu le côté "familial" de l'entreprise:

     

    "You forgot who we are? have you lost all your respect from my squad?"

     

     

    La Renaissance

    Il faudra attendre 2005 pour que les choses changent. Ruck, qui a toujours été un peu en retrait par rapport à Rock, se lance enfin en solo. Il reprend son vrai nom, Sean Price, et sort son premier album intitulé Monkey Barz. Il en profite pour raconter ses déboires, la prison, sa passion pour Tyson et la baston, non sans amertume mais aussi une bonne dose d'ironie. Et là, la magie opère. L'album de celui qui se fait désormais appeler Sean Price, the brokest rapper you know ("le rappeur le plus fauché que tu connaisses") cartonne.

     

    Il faut dire qu'en plus de bien écrire, le bonhomme, malgré son vécu et son gabarit de d'ours, n'a jamais perdu ce qui caractérise assez le groupe: leur sens de l"humour. Suffit de voir certains clips et écouter ses textes pour s'en rendre compte.

     

     

    Il a quand même signé une des pires chansons d'amour de l'histoire de la musique (et paradoxalement une des plus drôles et sincères) avec I Love You (Bitch), dans laquelle il décrit la relation amour haine qui le lie à sa femme.

    Succès critique et public. Sean Price et le Boot Camp redeviennent sur le devant de la scène underground, multiplient les sorties et tournées. C'est un peu la renaissance. Nouveaux albums des autres membres du Boot Camp, nouvel album de Heltah Skeltah, retour de Rock au sein du label et du collectif, nouveaux albums de Sean Price etc. Duck Down se positionne comme un label résolument tourné vers le boom bap signe de nouveaux artistes et de vieilles légendes comme Torae, Skyzoo, KRS One ou même B Real de Cypress Hill... Sean Price qui était un peu dans l'ombre de son binôme est devenu l'homme fort du collectif, est sollicité un peu partout. S'en suivent des projets assez nombreux et de qualité: Jesus Price, Master P, Mic Tyson, Kimbo Price. Des feats avec des valeurs sûres ou montantes: Roc Marciano, Black milk, Guilty Simpson, EMC (avec Masta Ace), La Coka Nostra, Apollo Brown, Pharoahe Monch...

    J'ai eu la chance de le voir en live à un concert d'Heltah Skeltah il y a quelques années, et malgré le fait qu'ils étaient pointés à moitié torchés avec une bouteille de Henessy à la main, les mecs ont quand même assuré et mis le feu.

    Donc oui, même si je n'avais pas trop suivi ses dernières sorties, j'ai quand même été très touché par son décès à 43 ans. Le mec est mort dans son sommeil, comme un personnage du livre que je lis en ce moment, comme un membre de ma famille il y a un mois et demi, comme ça.

     

    RIP Sean Price.

     

     

     

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